Dans une de ses dernières notes le talentueux Jim Paulsen, stratégiste de Wells Capital Management, s'attaque à un des concepts les plus controversés de l'économie: la productivité, américaine en l'occurrence.(1)
Il ne s'agit pas de théoriser sur ce sujet. Il est depuis longtemps admis, il est vrai de manière très simplificatrice, que c'est son addition au taux de croissance de la population active qui détermine le potentiel de croissance économique à long terme. Plus récemment on a découvert que, malgré les craintes, la productivité favorise la création de richesse et on ne détruit plus les métiers à tisser pour préserver les emplois des ouvriers du textile ! On s'est également aperçu qu'ainsi, plus forts sont les gains de productivité, plus grandes sont les chances de concilier les intérêts des travailleurs comme ceux des actionnaires. C'est ainsi que la croissance peut se développer en limitant les risques de surchauffe et améliorer la visibilité comme la longueur des phases de développement, créant par là même les conditions les plus favorables pour le marché financier.

Au delà de ce paysage idéal il demeure que la mesure et encore plus l'anticipation de la productivité restent un casse-tête tant les impactent évolutions technologiques et réglementaires, niveau de formation des salariés et même qualité du consensus social dans l'entreprise.

Tout cela paraît incontestable mais c'est probablement l'investissement qui en est le moteur principal, au delà des progrès de l'organisation du travail ou de la motivation de la main d'œuvre, puisque c'est par lui que se transfère l'innovation technologique dans le processus productif.

Et c'est là que le bât blesse, après la bosse d'investissements, tant publics que privés(2) de la deuxième partie des années quatre-vingt-dix, ces derniers n'ont cessé de ralentir au cours des quinze dernières années. Ils se sont alors tenus en permanence en retrait de leur tendance de long terme constatée depuis la guerre. De même la productivité qui avait pu engranger dans les premières années 2000 les retombées du boom technologique de la décennie précédente, s'est progressivement étiolée au dessous de sa tendance long terme, sans le moindre rebond à ce jour.

La problématique pour ce qui est du marché financier est simple. Porté par la reconstitution des marges depuis 2010, par l'inépuisable générosité de la banque centrale ( au moins jusqu'à ces derniers mois) qui a enlevé tout attrait aux produits de taux, le marché américain des actions a triplé depuis le plus bas de mars 2009. Aveuglant aujourd'hui, ce découplage des actions par rapport à la productivité s'est amorcé dés le milieu des années quatre-vingt, un resserrement fugitif des deux trends s'étant opéré dans les toutes premières années 2000 du fait de la pointe de productivité entraînée par le boom du Net.
Les derniers mois de 2014 ont marqué, au delà de considérables progrès sur le plan de l'emploi et de la croissance globale du PIB, un début de rétablissement dans deux domaines majeurs:
- c'est en effet au quatrième trimestre que pour la première fois depuis le début de la crise la progression du crédit bancaire a devancé l'évolution de la masse monétaire, ce qui veut dire que le système bancaire a cessé de thésauriser les avances de la banque centrale;
- enfin l'investissement global est reparti au dessus de son trend d'après guerre.

"Un point ne fait pas une tendance" est un axiome favori des économistes,certes mais en l'occurrence ce double point interrompt une détérioration continue de plusieurs années. On ne peut donc l'ignorer. Cela ne ferait d'ailleurs que confirmer une fois de plus la justesse du théorème du Chancelier Schmidt. Si le retournement tant attendu de la productivité est bien au coin de la rue, le rallye boursier a encore de beaux jours devant lui et le retour progressif à la normale de la politique de la FED ne fera qu'ajouter à sa visibilité. Quel démenti alors serait apporté à une certaine critique, largement européenne, qui n'a cessé de condamner depuis 2008 un système économique américain inéluctablement drogué à la liquidité, sans espoir de désintoxication.

Sinon....

Jean-Paul Pierret pour CoDiese.
Mercredi 25 mars 2015

 
(1) cette note à largement trouvé son inspiration dans le dernier " Economic and Market Perspective "de Jim Paulsen rencontré à New York et dont nous suivons avec admiration les travaux depuis de nombreuses années.

(2) Clin d'œil aux Keynésiens, on constate aux Etats-Unis, c'est un comble, que le financement public, judicieusement orienté vers l'investissement et non pas comme dans nombre de pays européens vers les fins de mois des dépenses courantes, amplifie bien l'effet de l'investissement sur la productivité!