Derrière les chiffres impressionnants de création monétaire annoncés par la BCE, il est peut-être nécessaire de rechercher une interprétation psychanalytique du comportement des citoyens européens.

La monnaie c'est compliqué, on peut entendre tous les jours l'homme de la rue, même bien éduqué, exprimer son incompréhension des mécanismes par lesquels une décision prise entre quelques individus réunis Kaiserstrasse à Francfort, pourrait influencer sa situation personnelle. Plus encore l'énormité des chiffres manipulés est en soi un facteur d'incompréhension. On s'en persuade en entendant poser de bonne foi la question: si c'est si facile d' "imprimer" de la monnaie, pourquoi ne pourrait-on verser directement à chacun des 335 millions de citoyens  européens 3300€, l'équivalent des 1100 milliards annoncés jeudi dernier. Derrière cette interrogation naïve s'exprime quand même un doute sur la capacité du système bancaire à répartir efficacement ce tsunami de liquidité qui va inonder l'Eurozone.

Pas d'hostilité de principe donc dans la population à  cette initiative de notre banque centrale mais une curiosité matinée d'une grande circonspection.

Si nous  restons au niveau du grand public, le souvenir d'un vernis d'économie scolaire, quand il existe, amène nos concitoyens à s'étonner que la vieille règle "planche à billet équivaut à inflation"  ne fonctionne plus, alors qu'intuitivement plus de monnaie pour le même montant de richesse devrait vouloir dire que chaque unité monétaire va valoir moins de richesse, ce qui est bien une définition de l'inflation.

Ce qui précède confirme, s'il le fallait, que la politique monétaire ne peut que très difficilement faire l'objet d'une consultation populaire.

Pour ce qu'il est convenu d'appeler les élites ou milieux bien informés: les gouvernements, les milieux d'affaires, les économistes, l'universelle approbation -en dehors des milieux allemands les plus conservateurs...ou les plus prudents- de l'annonce d'un QE à la Francfortoise, repose sur une interprétation bien différente.

Peu croient qu'une reprise de la croissance soit susceptible d'en résulter rapidement. De même l'inflation miraculeuse à la fois maîtrisable (oh souvenirs!) et susceptible de déclencher l'envie pavlovienne de se précipiter, dans les galeries marchandes pour acheter avant la hausse n'est pas non plus vraiment envisagée.

En réalité ces "responsables" comptent certes sur l'effet mécanique du change, il est incontestable, du moins à court terme, car souvenons-nous que sur nos dix-sept dévaluations du 20ème siècle une seule a réussi, celle que le Général de Gaulle a effectué en arrivant au pouvoir.
Il se trouve qu'elle avait été soigneusement préparée par un train de réformes entreprises sur les conseils éclairés de messieurs Rueff et Armand. On est là au cœur du cœur du sujet!  

Nombre de nos dirigeants éprouvent à la fois le complexe de l'assiégé et aspirent au confort de la redoute. L'émergence des nouveaux acteurs économiques de la planète est vue uniquement sous l'angle de la concurrence à bas coût qui en résulte et non pas comme une opportunité de nouveaux marchés, comme le démontrent pourtant non seulement des producteurs de biens de consommation pour classes moyennes mais également ceux des fabricants de biens industriels qui ont su s'adapter. Adaptation et réformes restent pour nombre de dirigeants européens des slogans dont la répétition tend à se substituer à la mise en œuvre.

Dans cette perspective l'ombrelle monétaire de la BCE est vue comme l'édification d'une muraille protégeant le cours tranquille du processus politique contre les impatiences de nos créditeurs. Il s'agit bien en effet d'une redoute virtuelle dont M. Draghi lui-même prévient qu'elle n'est là que pour acheter le temps nécessaire à la réalisation d'une mise à niveau de notre compétitivité. Il y aurait malentendu si l'Europe du Sud, dont la France, n'y voyait sournoisement qu'un délai supplémentaire, un de plus, pour prolonger sa longue hibernation économique, tout en disant "marchons, marchons "comme les figurants à l'Opéra en faisant du sur-place. Nul doute que la tentation sera de plus en plus grande, au gré des échéances électorales. On ne saurait évacuer d'une pichenette les appréhensions de Mme Merkel sur le sujet. Une monnaie considérablement affaiblie, des taux faibles autant qu'il le faudra, un baril à la moitié du coût marginal estimé des producteurs les moins bien placés, il va falloir de l'héroïsme aux pouvoirs publics pour ne pas succomber aux délices de la redoute. Surtout que la menace djihadiste va malheureusement offrir un paravent pour mettre en sourdine nos velléités réformatrices. Les prix de revient de nos entreprises ne sauraient se contenter de la très symbolique loi Macron, quelles que soient ses bonnes intentions.