15/01/2016

Droite et gauche ont alternativement abusé de cette formulation pour galvaniser leurs partisans lorsque, au pouvoir, elles pressentaient une défaite électorale. Le retour des stratégies de convergence des entreprises, un peu partout dans le monde, doit au minimum faire lever les sourcils, tant le souvenir de la mise en oeuvre de cette stratégie au tournant des années deux-mille à laissé de mauvais souvenirs.
Concentration verticale ou horizontale a longtemps été le pont-aux-ânes traditionnel des manuels de stratégie d’entreprise. Grossir horizontalement dans son métier, si possible sur des marchés dont on était absent, était censé apporter puissance à moindre risque puisque l’on restait dans des domaines connus et maîtrisés. À la verticale au contraire on pensait mieux intégrer le processus de production et s’assurer contre le risque amont ou aval. Le cas d’école classique était la comparaison Seb-Moulinex. Le premier traditionnellement sous-traitait nombre de composants de ses produits, le deixième au contraire en intégrait l’essentiel, jusqu’à ses petits moteurs électriques. Il n’y a pas eu photo à l’arrivée, le tassement de la demande dans les années quatre-vingt a trouvé Moulinex ligoté dans son organisation verticale quand Seb mettait à profit la souplesse que lui conférait sa sous-traitance et bientôt rachetait son concurrent.

La convergence évoquée il y a seize ou dix-sept ans peut être assimilée à une concentration verticale. Il s’agissait à l’époque, dans l’euphorie de la bulle internet, d’associer étroitement les réseaux (télévision, radios, réseaux câblés divers) à des contenus programmatiques (films, musiques, jeux, sports, productions diverses,...) pour mieux maîtriser leur programmation. Jean-Marie Messier et Vivendi furent les archétypes de cette politique. On sait ce qu’il en est advenu et on en avait conclu à l’époque qu’il n’y avait pas nécessité pour les réseaux de posséder à grand frais les activités de contenus pour collaborer avec elles. Il y avait suffisamment de concurrence entre producteurs de contenus pour que les réseaux soient toujours en mesure d’y puiser leur programmation. Plus jamais ça m’avait fermement répondu un des successeurs de J.M.Messier en réponse à une de mes questions !
En réalité l’élément déclenchant sur ces sujets reste l’évolution de la technologie. C’était l’explosion d’Internet il y a seize ans, c’est aujourd’hui le phénomène de connectivité entre objets ou services qui détermine le retour d’une nouvelle convergence. C’est ainsi qu’ont tendance à s’écrouler les frontières anciennes entre métiers. Il ne se passe pas de jours que des innovations technologiques viennent bousculer l’articulation entre les objets de notre vie quotidienne.
Particulièrement mises en valeur chaque début d’année pendant le Consumer Electronic Show de Las Vegas, des inventions les plus farfelues aux plus prometteuses sont annoncées. Au salon 2016, cela allait de la chaussure connectée qui change de couleur à volonté ou réchauffe le pied tout en éclairant la route, à de nombreux logiciels pour l’automobile qui regroupent à la fois l’information du conducteur et le divertissement des passagers, en passant par le réfrigérateur à ouverture automatique ou les lunettes à affichage tête haute! On sait que c’est dans le domaine automobile que l’innovation a la plus grande portée en préparant, par exemple, l’autonomie totale des véhicules.
Et c’est précisément là que le retour de la convergence va induire le plus de tentations.
On se souvient avec quelle prudence le groupe Bolloré a abordé la problématique de la construction d’un véhicule apte à mettre en oeuvre ses batteries au lithium-métal-polymère, en se rapprochant d’abord d’un carrossier célèbre mais de petite capacité, Pininfarina, puis finalement en passant des accords de production avec PSA comme avec Renault.
On entrevoit la tentation que les stars de la connectivité, le plus souvent des entreprises de services, ont de pousser une forme ou une autre d’intégration aval de production de véhicules, par exemple Google et ses véhicules sans chauffeurs. Dans un domaine plus classique, celui précisément de l’ex-Vivendi, on constate que Altice a repris avec un bel enthousiasme la stratégie de la convergence à coup de dettes. Orange pour sa part laisse affleurer la même tentation, elle ne prendrait en toute hypothèse forme qu’une fois réglée l’acquisition de Bouygues Télécom.
L’histoire ne se répète certes jamais à l’identique mais les mêmes causes peuvent difficilement entraîner des résultats très différents. Sortir de son métier pour acquérir, à prix élevé le plus souvent, des activités certes complémentaires mais qu’on ne maîtrise pas, empile deux risques: financier et de savoir faire, surtout quand le temps fraîchit. Jouer la convergence, par des acquisitions plus que par des accords et partenariats, demande une réflexion plus que mûre. Finalement ce n’est jamais que l’acceptation des rigidités inhérentes à l’ancienne intégration verticale et qui ont piégé par le passé un certain nombre d’entreprises conquérantes.

Jean-Paul Pierret. Le 12 janvier 2016

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